PRESSE

 
La Gazette de l’hôtel Drouot  4 février 2011
MÉLOIS HOMMAGES ET DOMMAGES

…Mélois convoque humour et tendresse. Il connaît son histoire de l'art et s'en amuse, tout en dialoguant avec les maîtres. Ses « Hommages » s'adressent à Goya, Picasso, Morandi, Cézanne, Van Gogh. Bonjour Monsieur Courbet, « votre chien est le mien ». Voilà le petit paysan qui a fugué de la noce de Bruegel l'Ancien. Le sujet provoque le sens caché des mots et le canular procède autant du calcul plastique que de sa reprise dans le titre : « Notre Père qui êtes aux cieux » accompagne Picasso dessinant devant l'objectif de Gjon Mili. Convaincu de l'efficacité décapante que porte toute image, il se lance avec ses Dommages à la déconstruction du bien-fondé de toute chose. La logique est balayée par la dérision. Priorité à la poésie : « Les faux poètes ou l'envers vaut l'endroit ». Mélois pratique le jeu du cadavre exquis qu'il adapte aux besoins de sa sculpture. Son bestiaire et son humanité sont soumis à la métamorphose fantasque par un imaginaire jamais pris en défaut, Pax Magnarum Seigneur ne nous exocet pas pour un oiseau « Mirage » d'une parfaite innocence dans son message de paix déguisé. Mélois est tout entier dans ces surprises. Et l'on ne sait ce qu'il faut admirer le plus, de sa prédisposition à la narration ou de sa virtuosité à découper, assembler puis souder ces morceaux de tôle émaillée qui, entre ses mains, acquièrent le statut de métaux précieux.
Galerie Messine Blaise Parinaud, 4, avenue de Messine, Ville. Jusqu'au 26 février.
2011
QUE DIRE ? MS (une voix inconnue)  PARIS avril 2006.

Dire ce que l’artiste n’aurait pas livré dans ses entretiens ou accordé dans les articles qui lui ont été consacrés relèverait d’un naïf projet de gloseur. MELOIS s’occupe fort bien de faire circuler sur la toile les éléments de son parcours.
Alors, pourquoi prendre la parole et la consigner par écrit ?
« Répondre présent » serait la commodité la plus immédiate. Ce n’est pas un ordinaire tour de passe-passe qui éviterait ainsi de se creuser les méninges et autoriserait une place à la table des invités. Toute exposition devrait être reçue comme un cadeau, car quelque chose qui nous regarde est donné à voir.
C’est autour de « ce quelque chose » que je vais tourner et retourner ma langue maternelle, pour sept ans et plus, afin de me laisser le temps des accords verbeux et des compléments d’enquête.

Mon inattention fut prise au dépourvu quand entrant chez l’artiste pour une raison très privée, je butais (le mot est à vérifier) sur une figure grandeur nature qui nous attendait là, en famille. Je ne sais plus si j’ai salué l’assemblée (ma politesse est douteuse) avant de m’écrier : « Mais, ça, je l’ai déjà rencontré !». Ce ça exclamatif s’adressait à une sculpture de MELOIS, mon écriture rétroactive préfère rencontrer tempérant un « Mais, ça, je connais ! » prétendant et peu sûr.
Oui, j’avais rencontré en 1980 (Galerie Jean-Pierre Lavignes) ces créatures en tôle émaillée et 25 ans après le souvenir était vif. Bienheureux instant où se conjuguaient une œuvre, le visage et le nom de l’artiste. Que l’on veuille bien me pardonner ces manquements associatifs, j’avais oublié le visage et le nom, mais la présence singulière de l’œuvre était intacte et j’aurais pu déclarer « si ce n’est vous c’est donc votre frère ».
Je peux paraître insister lourdement sur cette histoire de famille, mais cette parenté entre les vivants et le vivant n’est pas une coquetterie. La journée passée chez lui m’a renforcé dans ce sentiment d’un lien particulier unissant les membres de cette communauté.
« Quelque chose » se dévoilait, les œuvres n’étaient pas des objets, produits d’un travail savant, mais des présences porteuses d’une histoire. Le métier du sculpteur (sa maîtrise du matériau) nous a été dévoilé et n’est plus à discuter. Des aveux, lâchés au cours des entretiens de l’artiste avec André Parinaud en 1993, mériteraient une reprise.
- « Racine faisait un schéma de sa pièce, mettait en place les personnages et disait : « la tragédie est faite, il n’y a plus qu’à l’écrire ». Ma démarche est identique ».
- « …J’ai pensé à l’accouchement et j’ai dessiné un homme écartelé qui accouchait d’un enfant, Baptiste, qui écartèle son père avant de l’écarter et de prendre progressivement sa place. Et l’enfant, à l’intérieur du père, commence, avant d’être né, à être lui-même écartelé. Une image simple. Pas de grande science. Une suite magique : l’hérédité. Et j’ai appelé l’œuvre simplement « Au nom du père » avec une référence à la religion ».
- « Je vis à la campagne au propre comme au figuré. Je ne vois pratiquement personne et pourtant je ne peux pas vivre tout seul : en dehors de mon clan je n’ai pas besoin de fréquenter les gens mais j’aime descendre à Paris, par exemple, pour me mêler à la foule, entendre le bruit de la ville ».
- « Vous vivez avec vos sculptures ? – Si je les avais toutes, je serais plutôt heureux. Je les mettrais en scène dans l’ordre de création, mais une fois qu’elles sont parties, je ne suis pas malheureux. Ce sont des morceaux de ma vie, des périodes qui se sont éloignées-…-je tourne la page ».
- « Je suis un campagnard, comme mes parents ont vécu. Je travaille ».
- « J’ai besoin de sentir qu’on est à mes côtés ».
- « Je pense à une continuité à travers les enfants… C’est ce qui me pousse à créer pour ne pas mourir tout à fait ».
- « Et qu’est-ce que représente l’amour pour vous ? – Le cocon. Pour être bien, il faut être aimé et aimer ».
- « La seule éternité vraisemblable est donc l’œuvre que vous laisserez ? – L’œuvre que je laisserai et aussi ce que feront mes enfants, mes petits-enfants, comme ce que je suis moi-même après mon père… ».
- « Votre père aurait pu créer ? – Peut-être, mais c’est moi qui ai créé. Et c’est un peu lui aussi. En latin creator = créateur, mais aussi père. Je m’appuie sur le passé pour le prolonger. Mon père était né au XIXe siècle et ma fille aura vingt ans en l’an 2000… J’ai l’âge de mon père plus… ».

Il ne faudrait pas hâtivement tirer des conclusions de ces citations et des intentions analytiques qui seraient miennes. Ce n’est qu’un contexte dans lequel je cherche à inscrire mon propre sentiment diffus face au monde de Mélois.
Il serait plus sain, dit-on parfois, que les œuvres parlent seules et pour elles-mêmes. Oui, si elles ne parlaient que d’elles-mêmes, mais c’est bien de cet écart de langage dont je cherche à faire état. On peut toujours se les approprier (et d’une certaine façon c’est bien ce que nous faisons avec les œuvres que nous acquérons ou consignons dans notre musée imaginaire), mais il y a toujours un retour à ce « quelque chose » d’indicible que nous partageons secrètement et en toute innocence avec l’artiste.
Peu importent les malentendus qui président au catalogue des choses de la vie, imprimé dans nos boutiques obscures, le temps s’emploie à y mettre bon ordre. « Rêvez-vous de devenir artiste ? Notre théâtre emploie tout le monde et met chacun à sa place » nous confie Kafka dans le théâtre de la nature d’Oklahoma.
« Mélois de ce qui te regarde » n’est pas le moindre effort que nous ayons à fournir, accueillir des sculptures qui nous regardent (leur mutisme n’est pas une injonction au silence, mais une invitation à une relation durable, à un se découvrir sans préalable pour atteindre le cœur de l’ouvrage) est un à faire (une affaire) très personnel. Côté cœur, (« comme en architecture, les murs-rideaux ferment l’espace créé par l’ossature métallique. La structure terminée, j’y place symboliquement un cœur. La sculpture vit déjà »), il n’est pas trop tard pour se laisser aller, car ce lumineux objet du désir ne s’interdit pas. Seule son armure émaillée, aux couleurs de la séduction, pourrait freiner nos ardeurs, mais serons-nous coupables (« je regrette cependant qu’elles ne soient pas toujours chez des gens qui les aiment et que je respecte ») ?
Donc se mêler de ce qui nous regarde n’est pas s’emmêler avec ce qui nous regarde. Un peu de décence et une honorable distance sont nécessaires pour que posséder ne devienne pas un mot mal famé. L’artiste en pater familias veille sur sa descendance (« il dit des choses qui viennent du dedans, et qu’il faut essayer d’entendre. Douces et tendres, généreuses une fois la surprise passée. Il sculpte en vérité son cœur ! » - Pierre Seghers 1978.), il réaffirme qu’ils sont un tout, à prendre ou à laisser. Qui oserait demander que les oeuvres ne parlent que pour elles-mêmes !

Est-ce une chance de ne pas rencontrer Mélois, d’être contenté par les « objets » exposés hors de l’atelier matrice, de vivre en spectateur un numéro de cirque ? La virtuosité et la magnificence des protagonistes suffisant au plaisir des yeux, l’appréciation d’un public expert manifestant son bonheur peuvent déclarer le contrat honnête. L’épanouissement des sens est souvent une fin en soi. Oui chacun peut trouver son compte dans une exposition, surtout quand l’œuvre est généreuse et immédiatement perceptible.
Pour moi il est trop tard, ce que j’avais en mémoire est hanté par l’artiste et son arrière monde. Je dois quitter ma place, descendre sur la piste et franchir le rideau de scène. Non par pur désintéressement, dans le but de rendre à Mélois ce qui lui revient, ni pour manifester mon enthousiasme et l’offrir en partage à mes semblables, mais par curiosité. Je ne dois rien à personne et personne n’a de dette envers moi.
Je me dois de laisser ma parole prendre l’air, la saisir au vol pour entendre une voix haute déclarer : « L’identification magique est faite : NOUS SAVONS QUE C’EST NOUS QUI PARLIONS. » (Antonin Artaud- Le Théâtre et son double).


La Gazette de l’hôtel Drouot  février 2003

Bernard Mélois entre humour, rêve et tendresse

Le monde de Mélois offre en partage le rêve et la dérision, l'humour et la tendresse. C'est un vrai bonheur de retrouver ses personnages constitués de matériaux de récupération : des oiseaux et quelques grandes sculptures (Groque Monsieur, 1996 ou Mira s 'éveillé, 2003 inspirée par une peinture d'Uccello. Mélois privilégie latôle émaillée colorée, celle des brocs et des bassines, des louches, des passoires, des casseroles, des entonnoirs et autres objets domestiques et quotidiens choisis pour leur forme. Il sait tirer parti de telle courbure, déclenchant un imaginaire où la part du rêve, le symbole rebondissent avec les titres. Mélois aime le mot autant que cette alchimie plastique à laquelle il se livre. Chez lui la métamorphose procède d'un calcul plastique autant que de sa prédisposition au canular, Mélois•de ce qui te regarde. Parce que les moyens lui manquaient pour faire de la sculpture en bronze, il choisit de questionner le rebus avec la même maîtrise technique qui accompagne sa recherche du travail bien fait. Rien n'est spontané dans sa démarche, mais il aime vivre le hasard. Parti d'un dessin puis d'un patron cartonné, son sujet prend corps dans la juxtaposition de morceaux découpés au chalumeau, chauffés pour obtenir les formes souhaitées, posées ensuite sur une armature en fer et soudées pour un puzzle d'un incroyable assemblage. Suivent les étapes du mastic et du ponçage, des retouches de couleur sur la peinture émaillée endommagée après là soudure avant de passer un cirage incolore. Dans le monde de la sculpture, Mélois occupe une place à part. Sourcier-sorcier, il nous prend par la main en nous révélant la beauté simple qu'il conjugue au quotidien.
L'émerveillement est à portée des yeux. Ne pas oublier que la création c'est l' originalité, le neuf absolu. Le message est entendu.

Galerie Lavignes-Bastille, 27 rue de Charonne Me. Jusqu'au 11 octobre 2003

Passionné d'architecture et d'écologie, ancien élève de l'École Nationale des Beaux-Arts de Nancy, Bernard Mélois est un artiste passionnant dont l'humour transparaît à la fois dans ses oeuvres et dans l'intitulé de ses sculptures. En voici un florilège "Mélois de ce qui te regarde" (1980) qui est sa version du facteur à la Jacques Tati ; "Ne Bougez plus Henri" (1982)
est un instantané du douanier Rousseau disputant une partie avec ses amis. Il va saisir la balle - click ;
"Notre Père qui êtes aux cieux" (1991) est un hommage à Picasso car nul n'est né tout seul ; "A last Degas in Las Vegas" (1996), la gamine de Degas a grandi, elle a beaucoup dansé, elle se repose - son classicisme c'est Degas, sa bretelle tombée c'est Las Vegas.
La vocation de Mélois pour la tôle émaillée date de 1968, époque de révolte contre cette société de consommation et donc de gaspillage. II a commencé ainsi à fréquenter les décharges municipales et sauvages afin de récupérer casseroles, brocs et autres ustensiles de nos grands-mères pour leur donner une seconde vie. Mélois est un original qui est à la fois un artisan et un artiste émérite : il a décidé de travailler l'émail qui a l'apparence d'une peau légèrement craquelée par l'âge, c'est aussi un matériau coloré et bon marché. Or, il est extrêmement difficile de souder les tôles émaillées sans les détériorer, les flammer ou les endommager. Non seulement Bernard Mélois y arrive avec succès, mais son alchimie est si réussie que ses oeuvres semblent aussi animées que la marionnette de Gepetto ; seulement ses réalisations ne mentent pas. Elles nous provoquent grâce à l'amour de l'artiste pour ses oeuvres qui sont comme ses enfants. Il commence en effet par réaliser le squelette puis y ajoute un coeur avant de passer à l'enveloppe... jusqu'à leur autonomie. Les sculptures de Mélois sont joyeuses et n'attendent plus que les amateurs d'art viennent les adopter chez eux, au sein de leur maison, ou que les architectes les intègrent à leurs projets...

BELLE-ISLE-EN-MER

Des oiseaux, beaucoup d'oiseaux, suremplumés, endormis, frappés par la mort. Et aussi des clowns, des patriotes, des demoiselles, cocasses, ironiques, dérisoires... La sculpture de Bernard Mélois, dont les Bellilois d'un jour ou de toujours ont pu, pendant l'été, admirer quelque 70 pièces à l'arsenal de la Citadelle, est l'une des plus toniques qui soient dans le marigot métaphysique de nombre d'artistes actuels.
André Parinaud, son meilleur exégète, recommande cependant de ne pas s'y tromper : « Le rire de Mélois est tranchant comme un rasoir, décapant comme un acide ; la beauté qu'il révèle n'est pas rassurante et ne connaît pas de canon. Il oblige chacun de nous à une remise en cause, invite à la pratique de la déri­sion et n'ouvre les portes de l'inconnu qu'aux explorateurs d'eux-mêmes. »
L'artiste, quant à lui, affirme que le fond lui importe plus que la forme, celle-ci n'étant que l'emballage d'une idée. Sa création première réside dans ses titres et sous-titres. Les idées de ses sculptures lui viennent spontanément, à travers les mots dont il aime jouer. D'où des titres toujours incisifs : le Snakosaure, Cent pour sang, Hombre aidant son ombre. Et, pour l'avoir longtemps étudié, il ne répugne pas aux titres en latin, comme Americanus sum nummi nihil a me alienum puto.
Ses sculptures sont constituées de métal émaillé qu'il trouve dans les décharges et découpe en damiers, d'où le blanc, le bleu, le rouge qui dominent dans son oeuvre.
Dans Vanitas vanitatum, le dérisoire dévie sur un érotisme caché : l'oeuvre montre une forme humaine recouverte d'une couverture, vue de dos, dont, lorsqu'on s'en approche, un miroir révèle l'inattendu : le ventre d'une strip-teaseuse en bas noirs.

  Laurence Pythoud    Mars 1996

Mélois habite près de la forêt de Retz, dans le village de Racine. Faut-il voir dans ce contexte déjà comme une alchimie entre l'univers onirique de l'enfance et le jeu intellectuel ? L'assimilation est peut-être facile et réductrice, mais il y a des deux chez Mélois. Avec sa propre originalité en prime.

C'est un peu par hasard, comme souvent en art, que Mélois a "rencontré" la matière qu'il fallait pour ses créations. Grâce à sa recherche d'objets de récupérations, vieux pots de chambre, casseroles, entonnoirs, ustensiles de cuisine, qui ont une caractéristique commune cependant : l'émail dont ils sont faits. Et voilà Mélois qui les fond, les assemble, les sculpte par couleurs choisies. Son atelier est une véritable caverne d'Ali-Baba, où sont classés par tons et par genres tous les matériaux qu'il ressortira plus tard pour l'élaboration de telle pièce qu'il a imaginée : une sorte de réplique sauvage de celui d'Arman.

Le travail de Mélois se situe sur deux aires de jeux, pourrait-on dire. D'abord la référence à l'enfance avec ces acteurs issus du cirque : clowns, funambules, danseuses, acrobates. Et dans cette catégorie, l'on peut inclure également les animaux : ours, poissons sur pattes, oiseaux en tous genres et de toutes dimensions – Mélois ayant une prédilection d'ailleurs pour les sculptures d'un certain volume. Et puis d'autre part, l'ironie grinçante, qui peut prendre parfois appui sur un animal, et qui met en scène une idée, un "message" que l'artiste veut exprimer. Tout commence alors par une phrase, une formule, qui synthétise ce à quoi il lui tient à cœur de donner forme. Ainsi voit-on naître Sang pour Cent, l'avaleur de sabres et les risques du métier ; ou restons Français et son drapeau ambigu. Les choses sérieuses doivent se dire ou se voir dénoncées, avec l'humour qui dédramatise en émouvant, et fustige en chantant. Mélois l'a compris, qui manie le subtil outil avec lequel il arrive à créer une sculpture tout ensemble sensible et forte, tout à fait particulière dans sa conception et dans son exécution. Créer, ici, prend tout son sens, car il s'agit en l'occurrence d'une œuvre sculptée qui naît de rien , pour se construire peu à peu, à partir de structures, d'armatures, de carcasses, que Mélois nourrit et habille d'émail multicolore. Dans des sculptures comme la demoiselle d'Haimhausen ou le petit tailleur plane une atmosphère un peu surréaliste, soit par la forme étrange donnée à un oiseau, par exemple (Ilabibi adieu Philippe), soit par la liberté de confronter des éléments surréalistes qui, par leur seule rencontre, nous plonge dans un univers en marge du possible poétique.

L'œuvre de Mélois provoque l'étonnement tendre, opère une sorte de séduction drôle et grave à la fois. Ces grandes pièces polychromes prouvent, si besoin était, que la sculpture aime la couleur ; et lorsqu'elle s'en empare et s'en pare. Mélois travaille solitaire, loin de Paris, en dehors des modes et des courants, à une œuvre qui compose peu à peu un monde en soi, où chaque pièce est reliée à l'autre par un fil invisible qui fait son authenticité.

Galerie Lavignes-Bastille, 27 rue de Charonne Me. Jusqu'au 9 mars 1996

MELOIS l'indomptable Pierre SEGHERS 1978

Préface pour une exposition à Corbeil-Essones en 1978

Melois ne se présente pas, il tombe du ciel et de l'enfer comme un météorite, avec son cirque, sa troupe de personnages, ses hommes-volants et ses funambules, ses masques qui ne sont ni Ensor ni Carnaval de Bâle, mais parfois visages d'effraies. Un peu lui-même, dirait-on, revenant de l'imaginaire, courbeur-soudeur des arcs-en-ciel, inventeur de ménageries fabuleuses et de formes cavalcadantes. Sculpteur en émail, sculpteur d'émaux, des maux de l'homme, il.utilise une matière aussi rebelle qu'inaltérable, ce "capital de plus précieux" toujours menacé et toujours survivant - l'HOMME lequel voudrait bien qu'on le laissât un peu vivre en paix, chez lui, entre son travail et sa liberté.
Entre l'"Etonne-moi " que Diaghilev lançait à Cocteau et la devise d'Apollinaire : "J'émerveille", Melois dresse son chapiteau. Etonnement général: J'écoute : "On n'a jamais vu ça ! Mais d'où sort-il tout ça ? Il est hanté, il est obsédé, ce bonhomme !"
- C'est vrai, Madame. Il est obsédé par son travail, par les misères et les carcans. On dirait.qu'il souffre pour tous les malheureux, et qu'il le crie, à sa manière. Avez-vous éprouvé parfois une certaine "difficulté d'être", Madame ? Avez-vous eu envie parfois, de vous échapper du labyrinthe métro, boulot, dodo et,d'avoir des ailes pour fuir ? Avez-vous, une fois, imaginé Icare ? Icare est là, Melois l'a saisi pour vous, regardez !
Un silence et un autre visiteur enchaîne : "C'est quand même drôlement fort , Il faut le reconnaître. Ce qu'il fait, ça ne ressemble à personne. Tout en couleurs avec ça, et en mouvement,.et soudé ... C'est en quoi ?'
C'est en tôle émaillée, Monsieur. Comme votre cuisinière ou, de votre grand'mère, le seau hygiénique Il pique ces matériaux-là à la main et au crochet dans les décharges publiques. Le sculpteur n'a pas de phynances, il récupère ce qu'on jette, et, des rebuts il écrit - en tôles et en couleurs - des pamphlets! Il soude au chalumeau, et comme vous le voyez tout ce monde-là crie et gueule ! Il dit des choses qui viennent du dedans, et qu'il faut essayer d'entendre. Douces et tendres, généreuses une fois la surprise passée. Il sculpte en vérité son cœur !
Un peu plus loin, un invité un peu Unesco celui-là : "Depuis Moore et Calder , ma plus grande surprise. Il faut venir à Corbeil-Essonne pour rencontrer ça? Picasso lui-même en aurait été médusé". Une sorte de gloussement, il continue : "Miro devrait voir ça, Clavé aussi. Ce sculpteur est un visionnaire absolument indépendant et nouveau, un tempérament, une évidence. Il voit, il ose, il crée en force. Comment s'appelle-t-il ? Et, de quel âge ?
Il a la trentaine, Monsieur et il en a bavé, croyez-moi l Il dit qu'il ne sait pas faire autre chose de ses mains que ses sculptures. Les cinq premières années, il n'a, paraît-il, rien vendu. Il travaille dehors, comme un possédé, comme un dingue ! Dans l'Aisne, et on y gèle, c'est un pays froid. Pas d'atelier, et sans argent. Sa femme est institutrice, ils ont deux bien jolies petites filles. Avant tout, c'est un homme brûllé par son chalumeau, par sa passion...
C'est tout celà, Melois. Un novateur. Un indomptable. Insoumis, insurgé, peut-être roule-t-il dans sa tête les mots d'un poète croate - Janko Poli Kamov, Le monde est mort, mon amour, et il fait noir dans son ennui
Le peuple est mort, mon amour, et son cantique est plein de rêves..
De son monde intérieur, il fait surgir des formes jamais vues. Il écrit avec le bec à souder, avec la flamme. Hommes, pauvres hommes, que faut-il faire pour vous éveiller, pour vous sauver ? Dans un monde pris entre l'atome et le volcan, ses créations sont angoisse, espérance et parfois dérision, pire:sarcasme. Et d'autres fois, quand le couvercle du ciel gris pèse moins lourd, vient l'embellie et Melois chante la vie, la couple, la démarche d'un même pas, la force profonde, les animaux amis et, sur les puissances du mal, la victoire
Ses tôles émaillées, il ne les discute pas, il ne dissèque pas, il les emploie. Son travail n'est pas froideur, géométrie, épure, mais un langage, où l'énergie de l'imaginaire et des mains agence ses intentions, ses inventions, ses tendresses et ses colères. Je pense à Rainer Maria RilkePourtant, bien que chacun se fuie
comme il fuit la prison qui le tient et le hait
Il est un grand miracle dans le monde :Je sens que toute vie est quand même vécue.
Melois donne à voir, à toucher, à aimer. Il surprend, il ébahit, il étonne. Mais il retient, et on ne l'oublie pas. Je n'avais pas reçu un tel choc depuis trente ans.
Le bonheur au bout des doigts AAAndré Parinaud

C'est un rôle singulier qui s'impose au critique ou à l'historien qui est de livrer l'artiste ou son oeuvre à l'attention publique "tel quel". C'est-à-dire avec la distance que devrait lui conférer l'histoire lorsque le temps aura rempli son action acide et dégagera l'essentiel de l'originalité d'une démarche et aussi "décillera" les yeux des témoins !
Dire la vérité, la cerner, la valoriser, la défendre; faire connaître les traits, les signes et les valeurs qui enrichissent le capital culturel d'une époque ; détecter le neuf et le situer dans l'ordre des grandeurs des symboles de l'imaginaire humain ; s'arroger le droit de clairvoyance, quelle audace !
Mais peut-on garder pour soi seul des convictions fondamentales ? Comment ne pas faire partager sa vision de l'étonnant ? Communier dans le plaisir d'être différent - ô paradoxe !
Et c'est parce que j'éprouve, devant L'oeuvre de Bernard Mélois, cette surprise heureuse du dédoublement, de l'ironie profonde, de la joie de vivre, que je voudrais présenter ce singulier personnage qui est un des grands créateurs d'aujourd'hui - tout en restant un marginal d'exception qui refuse toute règle.
Et pour apprécier le "la" de cette musique si spéciale, qui prend naissance à partir de chacune de ses sculptures, sans doute est-il nécessaire de connaître les péripéties d'une vie, c'est-à-dire les circonstances, les idées, les interactions, qui ont engendré les caractères d'une détermination et lui confèrent son aura de liberté et d'audace.
Toute l'oeuvre d'art met en action un mécanisme de fascination qui atteint une part essentielle d'un nous-mêmes mystérieux, qui se révèle à cette occasion. Elle nous arrache à la surface des choses pour nous faire accéder à une dimension qui échappe aux catégories de l'espace et du temps commun ; elle brise avec le témoignage habituel de nos sens.
Les sculptures de Mélois opèrent au niveau de l'évidence consciente, une métamorphose de la sensation plastique qui est une opération surréaliste par excellence. Dire que Mélois a su faire de l'humour, de l'ironie, du sarcastique, une valeur créative n'est qu'une première approche du phénomène, car Mélois brouille les pistes. Certes, ses jeux de mots provocants amusent la galerie : "L'haltère à terre atterre le clown" ou "Mélois de ce qui te regarde" sont une "sommation à une société de consommation". Mais s'il nous met en 'état de drôlerie", c'est pour nous rendre aux sollicitations de la part d'enfance qui rôde toujours en nous, et mieux échapper à la logique du bon sens.
Ses jeux de construction qui rassemblent les éléments de récupération - vieux pots de chambre, casseroles émaillées, tambours de machines à laver, entonnoirs... j'en passe et des meilleures - constituent des puzzles du cocasse, selon une géométrie qui n'est pas seulement cubiste mais aussi dadaïste et avant tout "magique" dans la mesure où Mélois professe une simultanéité de vision, un appel à l'étrange, une provocation au rêve, un défi à l'équilibre, une transformation du symbole, une élection du dérisoire comme valeur. Ce sont toutes les étapes de l'ascèse poétique qui transmue l'or en plomb et le banal en miraculeux qui sont alchimiquement rassemblées. Et admirez, je vous prie, l'économie des moyens, la rigueur de la construction, auxquelles s'ajoute bien évidemment l'étonnante technique de la soudure de l'émail - qui stupéfie toujours les professionnels du chalumeau.
Les fleurs de poubelles deviennent par le génie créateur de Mélois, les dessins d'un univers de l'absurde onirique qui unit les contradictions les plus étonnantes : les charmes de l'équilibre rare et du grotesque, l'incroyable assemblage de l'hétéroclite des formes et de la perfection glacée des couleurs de l'émail, l'harmonie des forces opposées.
Son admirable calcul plastique fondé sur la résistance et la légèreté des matériaux, le goût irritant des dissymétries, les palettes impossibles d'audace, la subversion, le canular, le mauvais goût, qui mêlent tous les genres, a pour rôle essentiel de déphaser l'esprit, de miner notre culture-assise, en nous plaçant sur les frontières de l'état de veille, où nous pouvons saisir l'étincelle poétique qui illumine le diamant du réel.
Le choc de l'humour méloisien qui a la légéreté de l'aluminium et la résistance de l'acier, la subversion de l'esprit révolutionnaire et la tendresse de l'enfance, irritant et grinçant comme une contrepèterie peut faire naître les vagues toniques et irrésistibles d'un haut comique rabelaisien. Il ne faut cependant pas s'y tromper : le rire de Mélois est tranchant comme un rasoir, décapant comme un acide ; la beauté insolite qu'il révèle n'est pas rassurante et ne connaît pas de canon. Il oblige chacun de nous à une remise en cause, invite à la pratique de la dérision et n'ouvre les portes de l'inconnu qu'aux explorateurs d'eux-mêmes.
Il restera à dégager ce qu'on peut sans emphase dénommer la "Le fond m'importe plus que la forme. Celle-ci n'est que l'emballage d'une idée. naissent d'une idée. La création première en est le titre et ses sous-titres. idées, elles me viennent spontanément comme des bulles venant exploser à la cuve en fermentation. Elles me viennent de mes grandes Amours, avec délice, grandes haines, avec morgue".
Il dit aussi : "J'aime les mots, j'aime en jouer dans mes titres".
Il redonne ainsi au platonisme sa véritable échelle de valeurs mais avec le dialectique d'expérience de la vie.
Sa capacité permanente à "vivre le hasard", à l'assimiler n'est pas moins remarquable : "Le besoin d'une forme demi-sphérique pour le crâne de la Dingue en 1968 a été le hasard dans l'utilisation de l'émail, c'était une vieille louche"
Ou bien : "Ma sculpture de cheval : la tête est intégralement empruntée à un carter de chauffe-eau qui ressemblait à une tête de cheval".
Par ce hasard dominé, Mélois compose une étonnante formule de paradoxe, que l'ombre soit lumière, que l'ordure devienne or pur, et autant du fait de faire une sculpture que l'on dit "singulière", que de l'idée de ce qui était un seau hygiénique soit mis dans un salon et regardé avec amour. Bien sûr, le seau a été découpé, trituré , et si je ne le disais pas, peut-être que personne ne saurait que c'est un seau. Mais moi, je le sais et ça me plaît, et je le dis et ça me plaît de le dire'.
Telle est la source de son humour et de sa grâce : "Ce qui était dans l'ombre est là, sous les projecteurs et c'est peut-être beau".
A sa volonté de couleurs s'ajoute le profond désir de tordre du fer à béton, de déterminer "l'encombrement de la sculpture dans l'espace", et enfin ce besoin de s'accomplir méticuleusement dans la satisfaction du travail bien fait. Lorsqu'il raconte sa concentration, on croît revivre un grand moment d'un 'compagnonnage" à l'heure de la réalisation du "chef- d'oeuvre" qui devait déterminer l'avenir de l'artisan : "Je commence à faire les pieds afin d'assurer dès l'abord la stabilité de la sculpture. Je m'attaque en second au bassin, et je descends progressivement mes tôles pour rejoindre les pieds. C'est une première étape. Ensuite je monte du bassin au cou. L'essentiel du corps est alors terminé. Restent les bras et la tête dont les structures n'ont pas été faites. Je réalise d'abord celles des bras, auxquelles je soude les mains. Des mains, je rejoins les épaules. Je termine par la tête. Le travail de soudure est terminé. Commencent toilette et retouches. Je nettoie la sculpture avec de l'Ajax et du Scotch Britt, comme une simple casserole. Je masque ensuite les quelques éclats d'émail inévitablesavec la dilatation des tôles. J'utilise pour cela du mastic à voiture que je ponce après séchage. Je fais ensuite les retouches de couleur à ces endroits avec une peinture émaillée. La sculpture est terminée. J'aurais mis trois à neuf mois pour la faire si c'est une grande pièce, trois à quatre semaines si c'est une petite. En finition, je la passe au cirage incolore, et je la fais briller avec un chiffon de laine, comme on le fait pour les chaussures".

Quel artisan doublé d'un immense créateur !

Et ce bonheur qui jaillit en lui, lorsque I'oeuvre est achevée, avec la qualité d'un fruit qui a mûri, à l'instant où il se 'démobilise' et libère son mental du souci obsédant de façonner une oeuvre dans les moindres détails, nous révèle sa profonde vérité : "Alors j'hésite intensément. Je ne peux plus me tromper !" Créer devient pour Mélois l'affirmation de la victoire sur le doute et sur l'angoisse.
Devant une sculpture de Mélois, nous sommes à la fois devant le temps magnifié dans sa tension créatrice, devant la force jaillie de la terre qui s'intègre au monde, et nous communique une part nouvelle de vérité humaine dans sa pérennité prolongée et assurée. C'est alors que l'homme sensoriel découvre la plénitude de la vie 'en train de se faire".
Pour Mélois, la beauté dans son absolu ne témoigne que d'une dimension culturelle. Il lui préfère "la vie sur le vif" qui, comme un diapason - avec son humus, son insolite, son impertinence et sa volonté - transcende l'inconnu.

MELOIS LE MEILLEUR  Philippe Caloni COMBAT  28 septembre 1970

Un mot d'abord de la Fondation de la Vocation. Il est facile et méprisable de la dénigrer, son financement étant assuré par les représentants les plus qualifiés de la société capitaliste française. Il reste que le nom de Marcel Bleustein-Blanchet demeurera, moins pour avoir été le protagoniste d'une importante agence de publicité, mais parce qu'il a créé et continué d'animer ce défi à la routine bourgeoise du pays, qui consiste à promouvoir les entreprises les plus folles, c'est à dire les plus saines. Alors même qu'il s'agit …rêve d'une jeune fille lauréate .. d'élever bêtement des moutons et ce, au siècle du management, la Fondation, bien sûr, trouve sa vocation.

Mais que peut-il en être de l'art ? On rêve devant un Soutine mourant de faim et déposant son dossier au 133 Champs Elysées. Sans doute a-t-elle "couronné " des gens qui ne le méritaient pas. Je me souviendrai toujours de ce mot de Louise de Vilmorin, à qui l'on venait de soumettre le dossier d'un futur écrivain : "Comment, un million pour écrire un livre ! Mais c'est hors de prix ! ce qu'il lui faut, c'est un banc, quelques feuilles de papier, et un crayon. Je m'engage à lui fournir le banc".

Il semble bien qu'avec Mélois, la Fondation a remarquablement tenu son rôle. Il fallait, voici 7 ans, beaucoup de perspicacité pour découvrir sous des sculptures à la limite de la convention, le génie…pour une rare fois encore, le mot n'est pas trop fort…de Mélois. Sa démarche est étonnante, et je prends "étonnante" au sens originel du mot, car après tous les ismes du XXe siècle, il paraissait impossible d'atteindre à l'authentique création. Mélois a décidé d'assumer son temps non pas au niveau de l'angoisse formelle qui, paraît-il, caractérise le dit-temps, mais de sa consommation. Mélois ne dénonce pas la société de consommation, Mélois l'exploite. Récupérant dans les décharges publiques tous les produits possibles et ménagers, mais en émail, Mélois les sublime, les façonne, les fait siens avec le talent prodigieux de l'humble ouvrier à qui l'on doit les rosaces de Chartres. Les seaux, les faitouts, les machines à laver, les cuisinières, abandonnées par les consommateurs, construisent férocement l'univers "méloisien" où la corrosivité de l'humour se mêle à la désespérance de la réalité. Le monde qui surgit de cette façon serait trahi par une élémentaire déscription, maladroite pour exprimer l'émotion frissonnante qui inspire une "comédie" digne de Jean Dubuffet. Il ne s'agit guère ici de voyance, mais une chose est certaine : Mélois sera d'ici quelque temps l'un des tout premiers. Mais il l'est déjà. Il faudrait aussi ajouter que Mélois est un remarquable graveur, découpeur, colleur, c'est à dire un remarquable créateur. Il faut aller, vite, 6bis rue des Saintes Pères pour s'en rendre compte. A temps.

Un véritable créateur        Marcel Pagnol 1970

Ses oeuvres sont des assemblages surprenants de matériaux de récupération, qu'il va chercher dans les décharges publiques. C'est évidemment.une touchante originalité, mais à mon avis ce n'est pas là son plus grand mérite. Ce qui étonne, c'est la conception nouvelle de son art. Ce n'est pas un sculpteur dont la massette et le ciseau délivrent la Vénus prisonnière d'un bloc de marbre, c'est un fabricant de formes qu'il invente et qu'il assemble, c'est un véritable créateur.